3615 Ulla

Un baptême portait le bonheur disait-on. Le bonheur... pourrait-elle seulement y regoûter tant qu'elle ne saurait pas? Elle avait tout fait ou presque, même le meilleur détective de la ville n'avait pas pu l'aider. Alors Bristiana avait économisé pour pouvoir payer la dernière solution, ou plutôt pouvoir offrir.

Cette solution était celle d'une elfe désespérée. Le temple disait-on était plein de gens maniant à la perfection la magie de la nature. Il fallait que se soit vrai pensait-elle en elle même.

Bristiana avait attendu la veille du baptême pour aller au temple, elle y serait allée le jour même si les habitants ne l'avaient déserté ce jour là. Dans le vaste hall elle ne croisa personne. On ne cherche pas un prêtre disait-on, c'est lui qui vous trouve... Cette idée en tête comme ultime soutient, la jeune elfe commença à errer dans le temple comme l'âme en peine qu'elle était.

"Quelqu'un" murmura t-elle dans le vent

Durant quelques secondes, il la regarda, statue immobile, nature gravée dans un marbre immémorial et balayant de sa puissance l'eau pur de la vasque de mémoire. Idril releva la tête croisant son regard profond. Ils se dévisagèrent puis soudain, il détala à travers les bosquets laissant seule la prêtresse qui voyait s'enfuit avec l'animal la quiétude de sa mâtinée. Péniblement, elle se releva s'étirant langoureusement afin de détendre ses muscles malmenés par une nuit en position statique où elle avait attendu que l'eau lui livre ses réponses. Le rêve l'avait réveillé dans la nuit en sursaut : des images indistinctes, un cri dans la nuit, le frémissement de la pluie sur les voiles de sa chambre. Elle avait espéré retrouver le calme et le sommeil en prenant l'air sur son balcon pour saisir la douce caresse de la pluie nourricière mais la peur du rêve revenait et elle savait ne pouvoir trouver le repos qu'auprès de l'eau sacrée du sanctuaire. Le léger sifflement du vent dans les feuilles l'avait avertie et lentement elle retourna vers les allées du temple avant de pénétrer dans l'atrium où poussaient les arbres de vie. Elle ôta une jeune pousse qui menaçait l'équilibre parfait du nexus d'un des êtres végétal qui les nourrissaient tous de son souffle puis le glissa à sa ceinture de cuir fin avant de suivre les pas de l'intruse. Elle surprit les paroles de celle qui lui tournait le dos avant de se racler discrètement la gorge pour signaler sa présence.

"Que la nature vous comble de ses dons", salua-t-elle de manière rituelle, "puis-je vous aider ?"

Bristiana sursauta, une elfe se présenta à elle, comme une apparition. Sans le vouloir elle la dévisagea. Elle n'avait pas l'habitude de côtoyer cette caste de son peuple et c'était attendu à trouver des elfes presque différents d'elle. Mais cette prêtresse lui ressemblait, non pas physiquement bien sur, mais morphologiquement... A cette remarque elle ne s'en trouva que plus bête, à quoi avait-elle pu penser, ces gens ne pouvaient être différents.

Avant de lui répondre elle prit une grande inspiration, rassembla son esprit décousu.

"Et que la vie la remercie..."

"J'espère trouver en ce lieux une réponse à mes questions. Si je ne les y trouve, alors elles ne sont nulle part ailleurs. Je cherche un diseur d'histoire prêt à accepter mon offrande"

A ces paroles elle attrapa la bourse dans les vastes poches de sa robe et déversa dix pièces d'or dans sa main. On lui avait dit que cinq pièces suffiraient si quelqu'un acceptait de répondre à ces questions, mais elle préférait donner plus, pour avoir la faveur d'Eàrànë. Rangeant sa bourse elle attendit, la paume ouverte, implorante.

Idril supporta sans mot dire l'examen étonnée de la demandeuse sans marquer le moindre étonnement. Elle lui rendit le même regard jaugeant de sa richesse au vu des frusques qu'elle portait. Patiemment, elle écouta l'histoire de l'elfe et finit par tranquillement hocher la tête. Peut-être était-ce le signe qu'elle attendait pour connaître la nature profonde des secrets d'Eàrànë...Elle finit par baisser la tête vers la main tendue de Bristiana les yeux blessés par l'éclat doré de l'or qui miroitait dans sa paume. Elle plissa les paupières avant de tendre la main pour refermer celle de la fidèle.

"Nous pouvons poser des questions à notre Mère mais rien ne peut nous dire si elle daignera nous répondre...Et si elle accepte et comble votre souhait, rien ne dit que nous serons à même d'en comprendre la réponse. La nature possède sa voix propre, une logique qui parfois nous échappe..."

Elle se détourna et lui fit signe de la suivre. Elle prit une coupelle puis la remplit d'une eau claire qui chantonnait en ce matin encore vert. Elles entrèrent dans une petite pièce sombre et elle posa le récipient à même le sol. Petit à petit, elle déposa tous les objets de métal qu'elle portait - peu à vrai dire. Elle détacha le bracelet sur lequel était serti l'orbe d'Eàrànë et le déposa aux côtés du bol.

"Je ne peux répondre qu'à ce qui fut et qui est, jamais à ce qui sera...La nature ne peut prédire le lendemain comme personne ne peut prédire le gel de l'été. Seule la mort est une constante dans notre avenir. Quels sont vos questions pour notre Mère ?" demanda-t-elle en se concentrant lentement.

Bristiana hochait la tête aux paroles de la prêtresse même si elle n'en cernait pas tout le sens philosophique et religieux.

"Ma question est si simple" murmura t-elle, essayant de se persuader.

Puis lentement elle suivit la prêtresse dans quelque autre pièce du temple. Elle regarda cette dernière faire quelque préparatif. Elle semblait enlever ses bijoux. Fallait-il qu'elle en fasse de même? Sans doute non sinon elle le lui aurait dit.

Quand enfin vint le moment de poser sa question, elle resta un instant interdite. Elle devait bien réfléchir à la façon de poser sa question ou Eàrànë répondrait à une autre. Prenant une dernière inspiration elle finit par parler.

"Je n'ai qu'une question. Qu'est-il arrivé à ma sœur jumelle, Cristiana? Voilà maintenant un an que je n'ai plus de nouvelles, ni de sa vie ni de sa mort."

La jeune femme s'obligea à respirer profondément pour atteindre l'état de transe nécessaire pour comprendre le sens des symboles d'Eàrànë. Elle écouta la question de Bristiana en pinçant les lèvres, elle n'avait pas suivi ses indications mais puisque le processus était lancé autant boire le calice jusqu'à la lie. Elle commença à marmonner en traçant des signes cabalistiques au-dessus de la coupe.

"Yesta, Yesta, Eàrànë, ered amin beth, seorsa guithoniel."

Lentement, elle saisit les bords de la coupelle avant de plonger son regard à l'intérieur répétant l'appel à Mère Nature.

"Ce qui est, ce qui fut...Dévoile le moi maintenant Mère."

Elle plissa les yeux en regardant l'eau clapoter longuement avant qu'un éclair de lumière ne frappe le centre de l'onde. Le flot d'images reflétées par la puissance d'Eàrànë la frappa et comme elle s'y attendait, la question n'avait pas été assez précise. Le gland, symbole de la vie qui commence, le lierre qui l'étouffe, le soleil qui fait vivre, le perce-neige qui vainc la morte saison...Des événements de la vie de tous les jours, de brefs passages de Cristiana...l'elfe faisant le ménage, mangeant, souriant, pleurant. Rien de bien concret, elle ne pouvait même pas émettre d'hypothèse sur la vie de cette dernière. Elle poussa tout de même le sortilège à son paroxysme pour essayer de déchirer le voile de la Vision.

"Yesta amin Eàrànë, Yesta atara !"

Soudain le frisson la traversa et ses yeux se révulsèrent quelques secondes pendant lesquelles elle battit des paupières très rapidement. Le voile se déchira et elle vit. Une jeune femme très semblable à Bristiana, un mâle...Un baiser. L'elfe lui semblait mal vêtu, différent de ceux qu'elle avait pu rencontrer. Une dispute terrible et le coup, la tête qui frappa le tronc d'arbre...Le corps sans vie, le feu. Ses yeux s'agrandirent de stupeur mais la sentence sortit de sa bouche d'une voix venue de l'outremonde.

"Par Eàrànë ! Elle est morte, tuée par son amant et ses restes calcinés sont enterrés quelque part, je ne peux savoir où, je ne reconnais pas les lieux..."

Bristiana ne comprenait pas le sens des paroles de la prêtresse. Elle n'avait jamais appris l'ancien langage de la terre. Tout au plus pouvait-elle envoyer un message aux alentours... A chaque mot, chaque geste, elle pressait un peu plus ses doigts contre ses bras croisés, ses phalanges blanchissaient. A présent, elle en venait presque à regretter son geste, d'être venue ici.

Un moment, qui lui sembla être longtemps après le début des incantations même si elle le savait tout proche, la prêtresse frissonna, ses yeux se révulsèrent. La jeune elfe sursauta, quelque peu effrayé elle traça dans l'air un signe de protection qu'elle avait apprit enfant, tenant plus de la superstition que du culte d'Eàrànë. Dans l'eau, elle voyait des symboles. Que pouvaient-ils donc représenter? La prêtresse elle même les comprenait-elle seulement?

Enfin la prêtresse sembla s'adresser à elle. Ses yeux ronds faisaient aussi peur à Bristana que le sort lui même, et ce qu'elle allait lui dire. Une réponse ou l'absence de réponse, tout n'était qu'appréhenssion. Les mots coulèrent, l'elfe ne remarqua pas le changement dans la voix de la prêtresse. Sa sœur était morte, Eàrànë ne pouvait mentir, la mère des mère, la mère de la terre avait parlé. Des larmes sortirent de ses yeux mais aucun son ne parvenait à sortir de sa bouche. Quel horrible sort. Sa sœur, si belle, si heureuse de vivre, si aimée des siens... Morte. Ce mot raisonna dans sa tête jusqu'à lui donner la migraine. Il fallait qu'il sorte!

"Morte!" cria t-elle d'une voix faible si bien que le cris sembla inaudible, un sanglot perdu dans la faible brise.

Bristiana n'arrivait pas regarder la prêtresse, elle tourna son regard vers la coupe, annonciatrice de malheurs. Des caractères étaient encore là. Le message n'était-il pas terminé? D'un doigt faible elle le désigna à l'elfe à ses cotés.

Elle sentait que la sève nourricière avait remplacé la chaleur de son sang. Elle était le vent dans les feuilles du chêne et la racine plongeant dans les tréfonds de la terre. L'oiseau sur la branche et le lombric aérant la terre de ses tunnels...Elle voyait la peine de Bristiana sans prendre vraiment part à l'instant, encore trop chargée du sortilège lancé, elle peinait à recouvrer le plan elfique. Le regard de sa cliente l'attira vers la coupelle et ses symboles et de nouveau, elle fut happée par la vision avec la force d'un ouragan. Elle blêmit légèrement tout en essayant de comprendre ce que la Terre voulait lui faire comprendre. C'était bien Maerglin qui se tenait devant elle se préparant une tisane, elle ne comprenait pas mais notait les composantes du breuvage avec une mémoire qui risquait d'être défaillant si elle tentait de s'en rappeler après coup.

Lentement, elle se força à prendre pour exemple les arbres légendaires qui vivaient à Celebrindal enfonçant ses racines loin sous la surface de la terre pour retrouver la stabilité nécessaire à l'arrêt du sortilège. D'un geste ferme, elle renversa la coupelle brouillant les signes d'Eàrànë et stoppant l'afflux de la vision vers ses sens. Être le matériau conducteur des pouvoirs du Dieu n'était pas de tout repos et elle sentait une sorte de lassitude la prendre.

"Putta Eàrànë, ar'aa'diol iant atar coia'lye anar..."

La puissance reflua de son corps et de son esprit et petit à petit Eàrànë cessa de l'habiter pour la laisser redevenir l'elfe simple qu'elle était. Elle souffla plus longuement essayant de retrouver une respiration régulière avant de prendre la main de la suppliante.

"Je suis désolée, elle est retournée à Eàrànë qui crée toute chose, elle est en paix."

Bristiana restait, impuissante, sans comprendre ce qui se passait. La Mère semblait vouloir lui donner d'autres réponses. Mais qu'y avait-il donc à dire après la mort? Se pouvait-il que sa sœur ne soit pas vraiment morte? Un nouvel espoir naissait en elle quand la prêtresse renversa la coupe. Le geste lui coupa le souffle tant il était violent. On lui prit la main. Ébahie elle attendit plusieurs secondes pour reprendre la parole et d'une voix paniquée parla à la prêtresse, serrant sa main, sans doute trop fort pour l'elfe qui avait l'air frêle.

"Pourquoi avez vous fait ça, pourquoi renverser la coupe. Eàrànë voulait encore parler. Ma sœur avait encore des choses à me dire. Peut être n'avez vous pas bien interprété les premières images, elle voulait vous corriger..."

Elle avait parlé vite, très vite, le désespoir se lisait dans son comportement. Bristiana avait du autrefois être une belle elfe, charismatique, bonne oratrice. Mais l'elfe qui se tenait là n'en était qu'une pale copie, en prise au désespoir.

"La question était bien trop vague et la volonté d'Eàrànë avait changé de sujet pour se reporter sur moi, je suis désolée mais ce que j'ai vu est ce qui fut. Ce que vous croyez voir dans l'eau ne sont que symboles sans représentation pour les profanes...Pour nous, ils forment de véritables images qu'il n'ait pas besoin de décrypter. Je puis vous assurer que votre sœur est bien morte et j'en suis désolée."

Ces quelques mots étaient sincères. Jouer les Cassandre n'était pas vraiment ce vers quoi tendait l'idéal de la jeune prêtresse...Annoncer la mort sans le renouveau du printemps. C'était peu de choses pour une suivante de la Mère. Tout en parlant, elle rassemblait ses quelques bijoux puis repassa le bracelet symbolisant son engagement envers le Temple. Elle se recoiffa rapidement regardant l'elfe prostrée devant elle. Finalement, elle glissa une main charitable sous son bras pour l'aider à se relever.

"Venez, allons marcher un peu..."

Son nez coulait, nonchalamment Bristiana l'essuya d'un pan de sa manche n'ayant plus intérêt de rien... Relevant son visage, elle regardait le vague, comme si l'horizon absent recelait quelque merveille.

"Je savais lires quelques symboles lorsque j'étais enfant. C'est si simple de se persuader qu'une interprétation n'est pas la bonne. Excusez moi"

La prêtresse l'aida à se relever. Sans volonté elle se leva.

"Si vous voulez"

Bristiana se demandait bien ou voulait en venir la prêtresse, pourquoi ne l'a laissait-elle pas là, prostrée, elle trouverais bien son chemin vers la sortie ou dépérirait sur place.

"Comment vais je annoncer ça à notre père" s'exclama t-elle soudain, se rendant compte soudain qu'elle n'était pas la seule impliquée dans l'histoire

"Il n'y a pas de mal mais se mentir à soi-même ne peut mener que jusqu'au chaos de l'âme. Les symboles étaient nets, beaucoup de notre peuple aurait pu s'y essayer sans forcément comprendre toute la mesure du pouvoir de Notre Mère."

Elle continua de la ramener vers la sortie du temple. Etre à l'écoute de la nature mais la Mère était aussi en chaque elfe, elle se devait à son peuple. Un peu de psychologie ne faisait pas de mal. L'image du Temple y gagnait.

"Simplement, nous pourrons vous procurer des potions si il se sent trop mal après cette annonce. Mais les signes sont inéluctables surtout pour des parents. Nous sommes un peuple magique, au fond de lui, il sait que le lien de sang s'est rompu...Ainsi va Eàrànë."

A vrai dire, Bristiana n'écoutait plus vraiment les paroles de la prêtresse qui se fondait avec le bruit de l'air. Doucement lui revenait à l'esprit les images de son enfance, sa vie avec sa jumelle. Leurs rires, leurs jeu, leurs amours. C'était finalement l'amour qui semblait l'avoir tué. Et ce même amour qu'elle avait cette fois vers sa sœur la consumait elle de n'avoir jamais plus de retour.

Puis comme si son subconscient lui continuait de suivre les paroles de l'elfe qui la conduisait, quelques mots se figèrent dans son esprit. "Potion, mal, sang". La suite lui sembla comme une évidence. Reprenant le contrôle de son corps elle tourna son visage vers la prêtresse, souhaitant visiblement lui parler même si les mots avaient du mal à sortir.

"Pourrais je faire une dernière prière et offrande à notre Mère?"